Au Royaume de Loango, jadis riche en traditions ancestrales, l’un des rites les plus emblématiques était le tchikumbi, un rituel initiatique marquant le passage de la jeune fille à l’âge nubile. De nos jours, ce qui reste de cet ancien rite se résume aux danses et déguisements, témoignant des conflits générationnels et des effets du modernisme. Le défi de préserver ce patrimoine immatériel se pose désormais avec acuité, alors que les valeurs traditionnelles s’effacent au profit de pratiques contemporaines.
Le Tchikoumbi, en langue vili, ou Kikumbi chez les Yombe, est un rite ancestral d’initiation et de fécondité. Ce rituel, autrefois pratiqué par les peuples de la branche nord du Royaume du Kongo, marquait symboliquement le passage des jeunes filles de l’enfance à l’âge nubile. Aujourd’hui, seules les communautés Vili de la République du Congo, les Yombe des deux Congo et les Woyo de l’enclave de Cabinda en perpétuent encore une version limitée.
Origine mythique du rituel
Selon un mythe fondateur du peuple vili, le Maloango, souverain du Royaume de Loango, souhaitait prendre pour épouse une jeune fille d’une beauté exceptionnelle. Cependant, bien qu’elle eût toutes les qualités physiques requises, elle ne possédait pas les vertus nécessaires pour être une bonne épouse. Les dieux, consultés à ce sujet, décidèrent alors d’instaurer un rite d’initiation pour préparer les jeunes filles au mariage. C’est ainsi que le tchikumbi est né, un rituel de passage essentiel pour toute future épouse.
Les étapes du rite d’initiation
Ce rite se composait de plusieurs étapes clés, chacune ayant une signification précise dans l’initiation des jeunes filles.
La première étape, le tchikumbi tchimbwi, marquait l’arrivée des premières règles. Pendant cette période, l’initiée dormait à même le sol avec ses compagnes de claustration, symbolisant l’humilité et la transition vers la maturité. Vient ensuite la Kubwila tchikumbi, ou la capture de l’initiée, où les membres des deux familles se réunissaient pour assister à une danse rituelle, le Nlimba, où la jeune fille accomplissait des prouesses acrobatiques. Enfin, lors de la phase finale, le tchikumbi tchimbwala, l’initiée était officiellement intégrée dans la collectivité, marquant ainsi la fin de son isolement et son entrée dans la vie d’adulte.
Le déclin du rite traditionnel
Mais ce n’est plus que dans les gestes et les danses que survit aujourd’hui ce rituel complexe et significatif. Les longues périodes de claustration et l’enseignement des traditions familiales et sociales ont disparu, victimes des transformations sociales et des résistances des jeunes générations.
Gertrude, jeune fille vili et danseuse aujourd’hui du tchikumbi raconte : « Les jeunes filles ne sont plus initiées comme avant, et le tchikumbi se réduit désormais à un spectacle de danse en costume traditionnel. La plupart ici ne sont même plus vierges, même si quelques-unes tentent encore de respecter la tradition ».
Une autre a ajouté : « mes copines se moquent de moi par ce que je me déguise en tchikumbi pour danser ou jouer du théâtre des scènes du village, mais moi ça m’est égal. Je suis fier de mes coutumes et j’en apprends beaucoup. Par exemple comment tenir un foyer ou parler avec respect, beaucoup de jeunes filles n’apprennent pas ça et leur foyer fini par se briser »
Un témoignage visible d’un passé qui s’efface peu à peu.
Les défis contemporains du Tchikoumbi
Le déclin de ce rituel n’est pas seulement le fruit des conflits générationnels mais aussi du poids du modernisme. Les jeunes filles d’aujourd’hui, baignées dans les valeurs de la mondialisation, sont de plus en plus réticentes à suivre des pratiques qu’elles jugent archaïques. Cependant, cet abandon progressif suscite des inquiétudes parmi ceux qui souhaitent préserver l’héritage culturel et spirituel du Royaume de Loango. Ils estiment que la survie du tchikumbi, en tant que patrimoine immatériel, est essentielle pour maintenir le lien entre passé et présent, et pour transmettre les valeurs identitaires aux générations futures.
Un patrimoine en péril
Ainsi, bien que les chants et les danses puissent encore résonner lors des cérémonies, le cœur même de l’initiation s’estompe. L’enjeu est désormais de redonner vie à cet ancien rite pour qu’il ne devienne pas qu’un souvenir, mais reste une partie intégrante du patrimoine vivant des peuples Vili, Yombe et Woyo.
Dans un monde en mutation, il devient urgent de réfléchir à des moyens novateurs pour réconcilier tradition et modernité. Comment réinventer le tchikumbi sans en dénaturer l’essence ? Comment préserver l’héritage immatériel du Royaume de Loango face aux pressions sociales et économiques actuelles ? Ces questions, loin d’être simples, engagent l’avenir d’un peuple et de son identité culturelle.
Ces questions ont ainsi été évoqué lors du colloque international à Pointe Noire du 24 au 26 septembre, au bureau du port de Pointe Noire. Colloque durant lequel historiens, scientifiques et éminentes personnalités ont émis des recommandations sur la nécessité de mettre les moyens en jeu pour une meilleure préservation du patrimoine immatériel du royaume de Loango.
Ame césar Sehossolo
Pour le Mag de l’Asos.